Expérimenter, échanger, développer

Retour de Reims

je rentre de Reims où quelques bibliothécaires de la future région CHAMALLO (CHAMpagne-ALsace-LOrraine) discutaient en chatouillant l’andouillette. Autour de la table : Metz et Nancy, Epinal, Charleville, Bar-le-Duc, Colmar, Reims, Troyes et Strasbourg.
Sujet : que faire après les attentats ? que pensez-vous des suggestions du blog d’organiser des ateliers et de mobiliser une réflexion en invitant des non bibliothécaires, intellectuels, enseignants, politiques… en vue d’ouvrir de nouvelles pistes pour la profession ?
En fait, le débat s’ouvre plutôt sur une question plus implicite et que je formulerais ainsi : S’agit-il de défendre la liberté d’expression ou de réfléchir sur les sources sociales des attentats, notre rôle et nos perspectives ?
Les deux ne sont pas nécessairement opposées, mais si la première est bien comprise et mobilise immédiatement, la seconde est plus vaste et il apparait rapidement que nous sommes mal outillés pour la traiter.
Quelqu’un soulignait que, « chez elle », tout le personnel n’était pas Charlie. Il faut être conscient de ça, dans la société et dans la profession. Ce n’est donc pas seulement une question de « transmission » mais bien de débat et de savoir définir ce qui est négociable ou non.
Plusieurs plaidaient pour l’action locale, plus ou moins opposée à des démarches trop générales où l’on se perd (les ateliers proposés par le blog, la mobilisation d’intellectuels).
Plus intéressant, le rapprochement nécessaire avec les profs. Les contacts sont déjà nombreux, mais avons-nous ce débat avec eux ? Le blog envoie vers un lien d’un collectif « Aggiornamento » de profs de région parisienne, profs d’histoire-géo, qui appellent à venir dans les quartiers voir ce qui s’y fait réellement au-delà des clichés ou du profbashing.
Les tendances qui se dégagent : faire un événementiel (par exemple la piste de travail avec la BnF et la Bpi sur une expo ou un événement), développer des outils (expos itinérantes…), développer le travail de terrain (local first), le travail de fond (avec des profs ou des intellectuels par exemple).

En fait, à travers les discussions, se dégage, à mon avis, moins des objections, qu’une attente de propositions concrètes pour la mobilisation. Et là je fais un clin d’œil à Dominique : maintenant qu’on a lancé le blog, quelle stratégie ?

Nous attendons vos suggestions.

 

Philippe Charrier, bibliothécaire non retraité (je le re-précise, car il s’agit ici d’une initiative personnelle où ma collectivité n’a aucune part)

Commentaires sur: "Retour de Reims" (5)

  1. larigauderie a dit:

    Bonjour, je suis Sylvie de l IDF et je travaille avec Dominique et un petit groupe de travail au montage d une journee d etude sur « les bibliotheques apres Charlie » donc vos echanges m interessent. Excusez moi pour les accents mais je suis sur un clavier portugais non maitrise. Je trouve que la seconde partie de la question est plus interessante : sources sociales des attentats, roles et perspectives…Meme si mal outilles pour la traiter : il faut s y coller car nos collegues sur le terrain en ont besoin. Nous organisons une JE a Paris le 21 mai et nous allons tenter de traiter ces thematiques. L apres midi, nous organiserons des ateliers pratico pratiques pour permettre aux collegues de s impliquer, de produire. Dans les solutions proposees, je crois bc au travail de terrain avec les habitants des quartiers et aux rapprochements avec les prof. Je crois moins aux expositions ou autres evenements sauf si crees avec les habitants. A suivre… Sylvie

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    • Philippe Charrier a dit:

      bonjour,
      je ne peux que souscrire à votre point de vue. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces journées, les thématiques des ateliers, les intervenants…
      Pour le travail de terrain et le travail avec les profs, je ne peux être que d’accord. D’accord pour en revenir là, et s’y appliquer, c’est notre vocation. Mais je pense aussi qu’il faut remettre ce travail, qu’après tout nous faisons déjà et depuis des années, en perspective et avoir un regard critique. C’est une manière aussi de nous poser la question qui nous taraude depuis longtemps sur le plafond de verre du public : nous touchons notre « public naturel », nos 15 à 20 %, comment réellement étendre notre action ?
      C’est difficile : pourquoi butons-nous sur cette limite et depuis si longtemps, après des années d’efforts théoriques, d’investissement, d’équipements, d’action culturelle, de développement d’outils de plus en plus performants (littérature jeunesse notamment) ?
      Je suis encore sous le coup de l’article sur le bouquin d’Abd Al Malik… mais face à tous ces efforts, de nous ou des profs, et même des institutions, des collectivités, sa question « ö République, pourquoi ne nous aimes-tu pas ? » me poursuit.
      Quand nous nous sommes associés avec Dominique, je ressortais la vieille référence de la chanson de Zebda en 98 : « Quand il m’a vu, j’ai vu que tout s’est obscurci/A-t-il senti que je ne lisais pas la bible et il m’a dit/Je crois que ça va pas être possible/Pas être possible, pas être possible ».
      Excusez la ringardise de la référence… mais ça témoigne simplement du fait que le pb n’est pas nouveau.
      Et la question d’Abd Al Malik est la bonne question. Depuis quand n’avons-nous pas entendu dire que la jeunesse de France, c’est notre chance. Que l’immigration, c’est notre chance. Que l’histoire qui avance, c’est notre chance. Nous sommes sur des positions défensives, ou nous avons l’air de l’être. Même si une belle volonté renouvelée tous les jours nous conduit aux heures du conte, aux ateliers de lecture, aux accompagnements aux devoirs, à surmonter la nième insolence ou incivilité, jour après jour, à recevoir les petits et les plus grands et à leur transmettre, par nos contenus et nos postures d’accueil, comment se construire un imaginaire, une opinion, une vision personnelle, une vie alors que rien ne leur dit qu’ils sont désirés, attendus, aimés.
      Heureusement que nous sommes là, que les profs sont là (je renvoie à nouveau vers le site d’aggiornamento dans nos liens).
      Mais malgré tout cela, nous devons nous resituer dans l’ensemble de la société française dont, plus ou moins malgré nous, nous suivons les lignes de faiblesse.
      Sortons du catéchisme républicain. Qui ne perçoit la complaisance ou le besoin de sécurité pointer dans sa répétition creuse ?
      Qui nous aidera à sortir de nos ornières ?
      Nous qui plaidons en permanence pour l’information, pour l’ouverture au monde, pour le regard critique, allons chercher ces regards sur nous-mêmes, faisons ce détour sans complaisance et sans culpabilité, pour revenir ensuite au terrain et agir.
      Ces phrases d’Abd Al Malik sont géniales, y compris sa critique des caricatures. Car ce qui est gênant, pour nous, pour le catéchisme républicain, pour nous qui parlons de Charlie et de liberté d’expression plutôt que d’attentats, de meurtres de Juifs et de violence sociale, c’est que nous n’avons pas affaire à un extrémiste mais à quelqu’un qui nous dit que « Une formation solide fait des citoyens qui se sentent légitimes » tout en nous disant que la liberté d’expression, il faut la négocier.
      Il nous sort de la transmission, de la communication, et il nous place dans le débat. Il nous prend, nous soulève par le col et nous remet sur le terrain que nous prétendions occuper. Et où le mène-t-on ce débat ? Où a-t-il lieu ? Avec qui ? Selon quels termes ? Sur quel média ? Y participons-nous ? Qu’y apportons-nous ?
      Menons-le, organisons-le.

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      • Larigauderie a dit:

        Oui, je pense qu’Abd Al Malik a effectivement tout compris, avant de lire son livre, j’ai lu et relu sont interview dans Télérama du 18/02 et je me suis dit « Mais oui, c’est ça et nous ne l’avons pas compris ou pas voulu voir… » Nous avons laissé tant de gens de côté sans le vouloir mais en étant très aveugles et nous en payons le prix. Tout à fait d’accord avec la réflexion à mener de nouveau sur le plafond de verre des 20%!
        Je crois aussi que nous n’y arriverons pas seuls. Abd Al Malick écrit « le peuple des cités a été colonisé, déresponsablisé, on a tout décidé pour lui… » (c’est le sentiement que j’ai quand je vais au réunion « Après Charlie » au Ministère de la culture, je représente l’ABF, j’ai le sentiement que l’on veut faire encore à la place de … alors comment reconstruire et avec qui ?
        Il est indispensable de corriger le tir et cette journée d’étude du mois de mai sera une petite pierre dans le grand chantier qui nous attend. Nous avons réunion du groupe de travail lundi 2 mars avec Dominique (j’étais en vacances quelques jours d’où mon absence de réponse) On va s’y mettre. Quand aux ateliers que lesquels vous nous avez interpelés avec Dominique dans votre appel, j’en parle avec lui lundi.On vous tient au courant. Sylvie

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      • Philippe Charrier a dit:

        après Abd Al Malik, j’ai repensé à une interview de Benjamin Stora après le 11 janvier (Le Monde 19 janvier, interview de Benjhamin Stora par Thomas Wieder). C’est moi qui souligne :
        Question à B. Stora : Vous évoquez un « risque de prise de distance » au sein de la population française. Comment le prévenir ?

        L’aspect décisif, c’est la crise de la transmission culturelle dans une partie importante des immigrations d’origine maghrébine. Toute la richesse d’une histoire islamique antérieure (langue, cultures, civilisation) reste peu connue dans les nouvelles générations. Ne survivent que des bribes de connaissances […] cette connaissance par Internet se fait bien souvent individuellement, en rupture avec les traditions familiales et religieuses. La fabrication identitaire de ces jeunes se construit par bricolage idéologique, fascination pour la violence, mise en accusation des autres sans concevoir sa propre responsabilité.
 A cela, il y a une alternative : si l’on ne veut pas d’une guerre des mémoires, il faut mener une bataille culturelle pour connaître l’histoire, celle de la France et des « pays du Sud ». C’est une bataille longue, difficile, complexe, mais il n’y a pas d’autre choix.

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  2. Philippe Charrier a dit:

    ah, comme votre commentaire me fait plaisir ! Tellement loin de la focalisation sur la liberté d’expression. J’ai entendu reprocher à Abd Al Malik d’avoir dit que les artistes devraient se soumettre à la morale. On focalise trop le débat sur cette question en termes théoriques, en oubliant qu’il y a des rapports sociaux derrière, et que ces rapports ont une histoire. Et c’est bien ce que nous rappelle AAM, avec beaucoup de mesure et de finesse, bref qu’il en va de la liberté d’expression comme de l’égalité et de la fraternité : cette liberté s’adresse peut-être de manière privilégiée à certains, ceux qui sont aussi plus égaux que d’autres, pour reprendre la plaisanterie bien connue !
    Oui, je pense qu’il est important d’entendre ce que dit AAM sur les aspirations du « peuple des cités ».
    En tant que bibliothécaires, nous ne pouvons pas tout, pas plus que les profs ou les politiques, mais nous pouvons quelque chose.
    Alors, oui, je suis très intéressé par votre initiative.

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